L'assistance du salarié lors de l'entretien préalable à une éventuelle mesure de licenciement

 

"Nulle partie ne peut être jugée sans avoir été entendue ou appelée"

 

(Nouveau code de procédure civile Livre 1 ' Titre 1 chapitre 1 section 6 : La contradiction)

 

La présente note vise à poser le cadre juridique et les problématiques de l'entretien préalable au licenciement, ainsi qu'à esquisser un mode opératoire devant permettre à tout militant syndical, fonctionnaire ou de droit prive, d'assister un collègue menacé de licenciement. C'est dans l'entreprise que commence le procès de la contestation du licenciement.

 

1. Principes généraux

 

Le licenciement était autrefois une liberté de l'employeur tirée du principe constitutionnel de la liberté d'entreprendre; n'étaient alors sanctionnables (loi du 18 juillet 1927) que les abus de ce droit (le licencier: le droit à l'emploi, pourtant tout aussi constitutionnellement garanti (article 5 du préambule de la constitution 1946), restait lettre morte.

 

Si aujourd'hui le principe du droit de résiliation unilatérale du contrat de travail demeure (L122.4 Code du travail, lui-même issu de l'article 1780 du Code civil), la loi du 13 juillet 1973 fait du licenciement un droit conditionné par le respect d'une double obligation pesant sur l'employeur ; de nombreux textes sont venus compléter ce dispositif de base, notamment la loi du 18 janvier 1991 qui permet au salarié travaillant dans une entreprise dépourvue d'IRP (Institutions représentatives du personnel) de se faire assister, lors de l'entretien préalable à une éventuelle mesure de licenciement, par un conseiller du salarié. Il ressort de cet ensemble législatif, qu'avant tout licenciement, l'employeur doit satisfaire cumulativement à:

une obligation de forme: le respect de la procédure de licenciement

 une obligation de fond : l'existence d'une cause réelle et sérieuse, motif du licenciement.

 

Le "droit" de licencier de l'employeur s'exerce à cette double condition et sous le contrôle du Juge prud'homal (L122.14.3) en cas de contestation par le salarié.

 

2. La procédure de licenciement

 

La procédure de licenciement se décompose en trois temps

‑ convocation du salarié à l'entretien préalable (L122.14 et R122.2.1 Code du travail) ‑

‑ entretien préalable (L 122.14 Code du travail)

‑ notification du licenciement par lettre motivée (R.A.R. ou remise en main propre contre décharge): L122.14.1 et L.122.14.2 Code du travail.

 

  1. Convocation du salarié à l'entretien préalable

 

La convocation, qui n'a pas obligation d'énoncer les motifs pour lesquels le licenciement est envisagé, doit cependant indiquer très clairement son objet: l'éventualité d'une mesure de licenciement ; cette précision est substantielle, à défaut de celle-ci il y a non-respect de la procédure de licenciement. De même, sous peine de la même sanction, la convocation doit mentionner, de manière exhaustive, la possibilité, pour le salarié, de se faire assister (pour le détail de ces mentions: L122,14 et R122.2.1 Code du travail). L'assistance du salarié est laissée à la diligence de celui-ci (L122.1 Code du travail), il en informe l'employeur. La convocation doit enfin mentionner le lieu, la date et l’heure de l'entretien.

 

           Le salarié peut être convoqué soit dans l'établissement où il travaille, soit au niveau où se prend la décision, voire au siège social de l'entreprise (Cassation sociale 24 janvier 1996) ; sur justificatif, le salarié est remboursé de ses frais de déplacements (même décision).

 

            L'entretien préalable doit, normalement, se dérouler, sans perte de salaire, à des heures et jours habituellement travaillés par le salarié (cour d'appel de Dijon 16 novembre 1999 et Cassation chambre sociale 09 avril 1992). L'employeur, n'ayant pour seule obligation que de convoquer le salarié à l'entretien préalable, peut le faire pendant une période de congés ou d'arrêts de maladie du salarié, il n'est donc pas tenu, à la demande de ce dernier, de reporter l'entretien à une date ultérieure (cour d'appel de Nancy 22 septembre 1999 ‑ Cour de Cassation chambre sociale 25 novembre 1992 et 7 octobre 1997). Toutefois s'il est établi que l'employeur a sciemment convoqué le salarié quand celui‑ci se trouvait dans l'impossibilité matérielle (en l'espèce une grave opération) de se présenter à l'entretien, le juge en déduira l'intention dolosive de l'employeur et conclura au non‑respect de la procédure de licenciement (Cassation chambre sociale 1er février 2001).

 

Quand le salarié bénéficie, en raison de l'absence d'IRP dans son entreprise (Cassation sociale 26 novembre 1996), de la possibilité de se faire assister par un conseiller du salarié, extérieur à l'entreprise, l'entretien ne peut légalement, même si la chose est matériellement réalisable, avoir lieu avant l'expiration d'un délai minimal de 5 jours ouvrables après présentation de sa convocation au salarié (Cassation sociale 7 octobre 1998). En cas de présence d'IRP dans l'entreprise, les dispositions légales ne prévoient pas de délai minimal entre la convocation et l'entretien mais l'employeur doit néanmoins respecter un "délai suffisant" : "Le salarié doit être averti suffisamment à l'avance du moment et de l'objet de l'entretien pour organiser sa défense" (Cassation chambre sociale 13 juin 1991, 22 janvier 1998 et 22 novembre 1996, publié dans Droit Ouvrier juillet 1997).

 

En conséquence, les stratégies, surtout si elles sont systématisées, de recherche de report de l'entretien préalable ne semblent pas devoir être préconisées, d'une part parce qu'elles n'empêchent pas l'employeur de passer outre et de poursuivre la procédure de licenciement, et, d'autre part, parce qu'elles seront aisément présentées comme manoeuvres procédurières et dilatoires, à ce titre elles pourraient indisposer le juge. En revanche dès qu'il est constaté la moindre irrégularité de procédure, celle‑ci doit être précisément et formellement dénoncée (Jettre R.A.R.), même en cas de poursuite de la procédure,

 

  1. L'entretien préalable

 

L'entretien préalable est une formalité protectrice des droits du salarié prévue dans son seul intérêt (Cassation chambre sociale 15 ‑mai 1991) "... l'entretien préalable est une garantie instituée enfaveur du salarié à laquelle il peut renoncer, et qu'ainsi l'absence de ce dernier ne peut lui être imputée à faute... " (Cassation chambre sociale 9 juillet 1992 et 28 novembre 2001). L'employeur est donc tenu de respecter les droits du salarié qui, lui demeure libre d'organiser sa défense comme il l'entend.

 

L'entretien préalable doit donc être perçu, non pas comme une simple formalité procédurale de moindre importance, mais comme un droit fondamental, droit de défendre son emploi menacé qui s'inscrit dans celui plus général du droit de la défense. En ce sens le législateur a entendu substituer au pouvoir discrétionnaire de l'employeur l'instauration d'une procédure interne respectueuse du principe du débat contradictoire. La réunion, des droits de la défense et du respect du principe du contradictoire vise, par analogie, à garantir formellement les droits du salarié à un "procès équitable".

 

C'est pourquoi, lors de l'entretien préalable, l'employeur a non seulement l'obligation d'énoncer les raisons du licenciement envisagé, mais encore de recueillir les explications du salarié, de les prendre en considération et d'en tirer les conséquences, voire de procéder aux investigations suscitées par les déclarations du salarié (Cassation chambre sociale 3 mai 1990). L'entretien doit donc être mené dans une langue compréhensible par les deux parties ou en présence d'un interprète accepté par chacune d'elles (Cassation 8 janvier 1997 dans Droit Ouvrier juillet 1997).

 

Du respect du droit de la défense il résulte que, lors de l'entretien préalable, le salarié doit pouvoir s'exprimer librement et que les propos tenus par le salarié à cette occasion ne peuvent, sauf abus, constituer une cause de licenciement (Cassation chambre sociale 19 juin 1991 et 27 juin 1991).

 

Le salarié convoqué à un entretien préalable ne peut, pas se faire représenter. Il peut se faire assister soit, en l'absence d'IRP, par un conseiller du salarié ou un membre du personnel de l'entreprise, soit, en cas d'IRP dans l'entreprise, par un membre du personnel. Le conseiller du salarié est un salarié protégé, en revanche le membre du personnel qui assiste le salarié ne bénéficie d'aucune protection ; l'assistance du salarié ne peut en aucun cas justifier une perte de salaire.

 

L'employeur peut se faire représenter (voir L 122.14 et L 122.14.18 Code du travail) mais le choix d'un représentant dépourvu de tout pouvoir pourrait éventuellement priver l'entretien de tout effet et équivaloir à un non‑respect de la procédure de licenciement. L'employeur peut aussi se faire assister, uniquement par un seul membre de l'entreprise. Cette assistance ne peut avoir pour effet de dénaturer l'entretien préalable, le transformant en "enquête disciplinaire" ou en "tribunal des flagrants délits". L'assistance de l'employeur ne peut donc avoir pour effet de détruire le rééquilibrage du rapport deforce entre l'employeur et le salarié, opéré par le législateur à l'occasion de l'entretien préalable (Cassation chambre sociale 1 ` avril 1997).

 

  1. La lettre de licenciement

 

L'employeur doit tenir compte des explications fouinies par le salarié ; en conséquence il ne peut prendre sa décision et notifier le licenciement moins d'un jour franc après la tenue de l'entretien ; aussi l'employeur qui informerait le salarié de sa décision de licenciement au cours ou à la fin de l'entretien ne respecterait‑il pas la procédure légale de licenciement.

 

La lettre de licenciement énonce les motifs du licenciernent : ils doivent être précis et matériellement vérifiables ; en l'absence de tout motif, ou en présence (le motifs vagues et imprécis, le licenciement est réputé dépourvu de cause réelle et sérieuse. Les motifs contenus dans la lettre de licenciement fixent les termes du litige et interdisent à l'employeur d’en invoquer de nouveaux. En revanche le salarié peut alléguer une cause exacte de licenciement différente des motifs contenus dans la lettre ; le juge sera alors tenu de rechercher la véritable cause du licenciement (Cassation chambre sociale ‑ 4 avril 200 1) "à la lumière de tous les éléments produits dans le débat", et "au besoin après toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles".

 

La lettre de licenciement ne peut être motivée par des faits survenus après l'entretien préalable ; en revanche et de manière surprenante., l'employeur peut énoncer des motifs qui n'ont pas été débattus lors de l'entretien préalable sans autre conséquence que la sanction d'un non‑respect de la procédure de licenciement (Cassation chambre sociale 30 mars 1994 et 18 mai 1995). C'est réduire celle‑ci à une simple formalité, le syndicaliste ne saurait partager ce point de vue.

 

3 L'assistance du salarié

 

  1. Préparation de l'entretien

 

Préparer l'entretien préalable, c'est tout d'abord rencontrer le salarié pour le rassurer, lui apporter le soutien réel de la collectivité de travail au moment particulièrement angoissant où il est mis en cause individuellement dans son emploi, le conseiller juridiquement et lui rappeler les règles et les principes de la procédure de licenciement ; c'est aussi prendre connaissance de l'objet précis de l'entretien, c'est‑à‑dire les motifs probables de licenciement et de leur contexte plus général, de la situation du salarié et de ses souhaits afin de définir avec lui une stratégie.

 

  1. Pendant l'entretien...

 

L'entretien préalable est donc un droit fondamental du salarié restreignant le pouvoir discrétionnaire de l'employeur auquel il est substitué un débat contradictoire poursuivant deux finalités, l'une reposant sur une logique conciliatrice, l'autre, précontentieuse, permettant au salarié de prendre, en connaissance de cause, la décision de contester son licenciement devant le conseil des prud'hommes. Il en résulte trois attitudes du militant qui assiste le salarié :

-         en tant que tiers, extérieur au contrat de travail dont la rupture est envisagée, il est le garant moral de la tenue et du bon déroulement de l'entretien ; cette mission doit lui conférer une certaine autorité sur la forme de l'entretien.

-         ‑ Ensuite il faut permettre au salarié d'avoir une connaissance claire et précise du motif de licenciement, demander des explications, la production des justificatifs, débattre de la teneur et de la fiabilité de ceux‑ci. Il faut permettre au salarié de répondre sereinement et de se défendre en toute liberté. Il faut démontrer le caractère subjectif, incertain ou excessif, de la préqualification des faits proposée par l'employeur. Il faut donc intervenir dans le débat de la cause prétendue réelle et sérieuse, mais en fait injustifiée ou disproportionnée, pour peser sur la décision finale dans une logique conciliatrice qui aboutirait à une solution plus favorable par exemple, une sanction disciplinaire moindre, autre que celle du licenciement. Il faut enfin pousser l'employeur à s'expliquer le plus possible, noter en silence les insuffisances de son appréciation des faits, son mutisme face à tel argument, ses refus de prendre en considération tel élément, ses contradictions... Il s'agit de ne pas lui laisser la possibilité de modifier ultérieurement son discours pour le rendre acceptable devant le conseil des prud'hommes (des motifs variés et contradictoires pourraient faire mauvais effet).

 

En conséquence, un entretien préalable devra toujours être suivi de la rédaction, avec le salarié, d'un compte‑rendu le plus complet et le plus fidèle possible au déroulement de l'entretien ; ce compte‑rendu pourrait être adressé à l'employeur qui ne pensera peut‑être pas à le contester avant la saisine du Conseil des prud'hommes. La Cour de cassation a récemment rappelé (27 mars 2001 voir RPDS octobre 2001 ‑ RJS juin 2001) "qu'en matière prud'homale, la preuve est libre : que rien ne s'oppose à ce que lectures prudhomal retienne une attestation établie par le conseiller du salarié qui l'a assisté pendant L'entretien préalable et en apprécie librement la valeur et la portée".

 

Assister le salarié est donc un acte militant qui doit prendre en considération la part d'ambiguïté de l'entretien préalable ; celle‑ci réside dans la possible contradiction entre la mission conciliatrice et celle précontentieuse : le souci de l'une ne saurait inviter à négliger l'autre.

 

Le respect de la procédure de licenciement comprend éventuellement, outre la procédure légale, la procédure conventionnelle. C'est, pour le salarié, une garantie supplémentaire non négligeable, il a ainsi été jugé que le licenciement d'un salarié sans respect de la procédure conventionnelle, qui constitue pour le salarié une garantie de fond, était dépourvue de cause réelle et sérieuse: à ce sujet lire les arrêts de la Cour de Cassation 28 mars 2000 (publié dans Droit Ouvrier octobre 2000 ‑ Note A. de Senga), du 16 janvier 2001 (publié dans RJS avril 2001) et du 8 janvier 2002 (publié dans RJS mars 2002)

 

4 En guise de conclusion

 

Les sanctions prononcées en cas de non‑respect de la procédure de licenciement sont contradictoires : certaines sanctions légales ne sont pas appliquées (imposer à l'employeur d'accomplir la procédure de licenciement), d’autres sont dérisoires (indemnité maximale d'un mois de salaire, éventuellement confondue dans l'indemnité minimale de 6 mois de salaire en cas de licenciement sans cause réelle ni sérieuse), d’autres plus rigoureuses (ex : cas de nullité de la procédure de licenciement collectif pour motif économique. Arrêts Samaritaine Cassation 13 février 1997 publiés dans Droit Ouvrier février 1997. Note P. Moussy), d’autres enfin mériteraient d'être relues (poursuite du contrat de travail ordonnée en référé prud'homal au profit d'un salarié licencié sans respect de la procédure. CPH de Vire 09 janvier 1990 publié dans Droit Ouvrier septembre 1990).

 

Ces contradictions s'expliquent essentiellement par l'opposition de deux conceptions : celle patronale qui prétend restreindre la procédure de licenciement à une simple formalité ou transformer l'entretien préalable en chambre d'enregistrement, et la nôtre. Pour nous il s'agit d'un droit fondamental du salarié, droit de la défense de son emploi. Il est important qu'à un tel moment le syndicat soit aux côtés du salarié d'abord pour ne pas laisser ].'employeur dénaturer l'entretien préalable, ensuite et surtout parce que c'est à ce moment qu'il est encore possible d'assurer, pour le salarié, son maintien dans l'emploi ou que doit réellement débuter la procédure prud'homale de la contestation, du licenciement.

 

Source :

Libertés Droits Action Juridique (LDJA)

Fédération CGT des PTT

Avril 2002